mercredi 24 avril 2024
Le lexique savoyard

Interview : Arnaud Frasse, Président de l’Institut de la Langue Savoyarde

Arnaud Frasse
Photo : M. Goddet

Qui de mieux qu’Arnaud Frasse, le président de l’Institut de la Langue Savoyarde pour parler de l’arpitan savoyard. C’est pour cette raison, que la rédaction de Mordus 2 Savoie est partie à sa rencontre dans le cadre d’une interview que nous proposons de découvrir dès maintenant.

L’interview d’Arnaud Frasse

Mordus 2 Savoie : Bonjour Arnaud, est-ce que tu pourrais te présenter ?
Arnaud Frasse : Je m’appelle Arnaud Frasse, je suis un savoyard né et grandi aux Pays-Bas, mais baptisé en Maurienne. Depuis mon enfance, je me rends régulièrement en Maurienne, où vivent ma famille et mes amis. À partir de 2010, je m’y suis installé de façon permanente. Et maintenant, depuis 2021, on peut me trouver en Maurienne et à Chamonix.

Mordus 2 Savoie : Pourquoi avoir choisi la Savoie comme destination de vie ?
Arnaud FrasseChaque fois que je retournais aux Pays-Bas après avoir rendu visite à ma famille et mes amis en Savoie, je comptais déjà les jours avant de retourner en Savoie. C’est l’endroit où je me sens le mieux et où je me sens chez moi.

Mordus 2 Savoie : Pourquoi avoir pris le rôle de président au sein de l’Institut de la Langue Savoyarde ?
Arnaud Frasse Dès mon enfance, j’ai grandi en étant plurilingue et j’ai observé que mon grand-père, ainsi que les voisins de mon village savoyard, parlaient côte à côte le français et l’arpitan savoyard. J’ai remarqué que les gens ne valorisaient pas cette langue. Certains ont même voulu me décourager, en disant que le « patois », de leur point de vue, ce n’était pas une vraie langue et qu’il ne valait pas la peine de l’étudier. Heureusement, je ne les ai pas écoutés et ne me suis pas laissé décourager par une idéologie. Je voulais que notre langue jouisse effectivement d’une plus grande reconnaissance aux yeux du grand public. Je veux que notre langue et ses locuteurs, artistes, poètes et écrivains soient pleinement valorisés. Bien qu’il s’agisse d’un atout, combien de personnes inscrivent réellement cette langue sur leur CV? Il semblait que personne ne devait savoir que nous avons une langue ! Ayant grandi aux Pays-Bas, j’ai peut-être une vision différente des langues régionales de France et de leur valeur; je pense être plus tolérant, plus ouvert. En France, les gens n’apprennent presque rien sur les langues régionales, ils ne savent quasiment rien d’elles. Bref, j’ai fait mes recherches, mes enquêtes et je voulais me battre pour le développement et l’émancipation linguistique de notre langue. J’ai rejoint des associations qui défendaient cette cause, dont l’Institut de la Langue Savoyarde en 2012.

À un moment donné, l’Institut de la Langue Savoyarde a eu besoin d’un nouvel élan et de nouvelles idées. Après un mandat de conseiller municipal, ayant acquis l’expérience associative nécessaire et des connaissances en linguistique, j’ai succédé à Pierre Grasset en 2019 comme président de l’ILS. Dans le bureau de l’ILS, on trouve aussi des noms bien confirmés comme Marc Bron, Alain Favre et Roger Viret, mais aussi un jeune secrétaire, Franck Monod, qui travaille dur et a de nombreuses idées novatrices.

Mordus 2 Savoie : Quels sont les principaux objectifs de l’Institut de la Langue savoyarde ? 
Arnaud FrasseComme indiqué dans nos statuts, les objectifs de l’association sont de préserver, promouvoir et diffuser la langue savoyarde. Nous essayons de normaliser notre langue, de la rendre normal comme toute autre langue.
Tout ce qui est lié à ces objectifs peut être fait si les personnes intéressées veulent réaliser leur projet avec nous. Nous publions des livres, des CD et des glossaires modernes, mais nous collaborons également à un moteur de traduction en ligne, nous développons une méthode de langue (en ligne et sous forme de livre) et nous pouvons proposer des traductions aux entreprises et aux particuliers intéressés. Nous nous occupons aussi de toponymie, et pouvons donc aider les collectivités à installer des signalisations bilingues.

Mordus 2 Savoie : Quelle est l’importance de la langue savoyarde et de la culture savoyarde pour toi ? 
Arnaud FrasseSans la langue savoyarde, il n’y a pas de Savoie. Un coup d’œil sur le cadastre ou une carte IGN vous indique déjà que quasiment tous les noms de lieux proviennent de la langue arpitane et qu’une connaissance de cette langue est nécessaire pour comprendre pourquoi un certain lieu porte un certain nom. Les personnes qui parlent la langue connaissent mieux leurs terres et ont en conséquence les connaissances nécessaires pour les développer. Contrairement aux promoteurs immobiliers et aux architectes parisiens, nous, nous ne construisons pas de maisons dans des marécages…

Le savoyard véhicule aussi une culture, la nôtre, et une façon de voir le monde. Dans ma cuisine, j’ai un outil, le bezon, qui n’a pas de véritable terme français. C’est une sorte de pilon en bois qui écrase les pommes de terre, lors de la préparation de la matouille, un plat savoyard. Cet exemple s’applique également aux outils dans la grange, aux techniques de construction, ou à toutes sortes de choses de notre vie quotidienne qui sont en continuité avec ce qui a été développé au cours des siècles et des générations passées. Ces personnes parlaient l’arpitan au quotidien et ont fait de la culture savoyarde ce qu’elle est, par exemple dans les domaines technique, gastronomique, artistique et littéraire. De nombreux mots, plats et objets se retrouvent aujourd’hui dans le reste de la France parce qu’ils ont été repris et empruntés.

Mordus 2 Savoie : Quels conseils donnerais-tu aux jeunes qui souhaitent s’impliquer dans la préservation et la promotion de la langue savoyarde ?
Arnaud FrasseÉvitez le piège de la folklorisation de notre langue. Contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire : Ce n’est pas la langue d’autrefois et des anciens, mais la langue de notre terroir. Notre langue est un moyen de communication avec lequel on peut parler de tout, y compris de sujets modernes. Il est intéressant de connaître nos racines et notre histoire, mais la jeunesse est là pour parler la langue et la maintenir pour la prochaine génération. Soyez donc aussi ouvert au fait que notre langue doit s’adapter aux besoins d’aujourd’hui, comme l’internet.
Je peux recommander à toutes les personnes intéressées de rejoindre l’Institut de la Langue Savoyarde.

Mordus 2 Savoie : Quelles sont les prochaines échéances de l’Institut ?
Arnaud FrasseNous souhaitons publier deux livres en savoyard, lancer une méthode de langue, publier un glossaire sur les sports d’hiver, créer une boutique en ligne en collaboration avec le Centre d’études francoprovençales en Vallée d’Aoste et accompagner un professeur qui souhaite proposer quelques cours de savoyard à ses élèves. Vous pouvez suivre les événements et activités suivants sur notre site web, ou en vous abonnant à notre newsletter.

Mordus 2 Savoie : Qu’est-ce qui fait qu’on est (ou pas) un bon savoyard ?
Arnaud FrasseTraditionnellement, un savoyard compte selon le système décimal (exemple : septante, huitante, nonante). De moins en moins de Savoyards le font, malheureusement, car ils sont restés longtemps dans la sphère d’influence parisienne. C’est facile à apprendre et un peu de sensibilisation régionale ne peut pas faire de mal.

J’entends aussi souvent que les noms de famille et les noms de lieux sont mal prononcés, lorsqu’ils se terminent par un -z ou un -X. En effet, la règle générale de prononciation est la suivante : le « z » à la fin des noms propres n’est qu’un signe d’accentuation et ne doit pas se faire sentir dans la prononciation. L’utilité du « Z » est de rendre atone la dernière syllabe et d’accentuer l’avant-dernier syllabe. Le « X » ne se prononce pas, mais la syllabe finale doit se faire entendre.

Quand j’entends certaines personnes parler, je me dis qu’elles pourraient prendre exemple sur nos amis romands, qui, tout en restant fidèles à leurs origines, savent toujours compter selon le système décimal, prononcer les noms de famille et les noms de lieux. Un bon savoyard soutient également l’Institut de la Langue Savoyarde. Voilà mes conseils pour un bon savoyard, haha!

Bureau ILS
Photo : Institut de la Langue Savoyarde

 

Vous souhaitez en savoir plus sur l’Institut de la Langue savoyarde ?
Rendez-vous sur le www.langue-savoyarde.com

3 Commentaires

  1. Best wishes from Ecosse, Arnaud. You were always a great linguist and a I remember well you passed me every day as I climbed the Col du Gladon for a coffee at the Croix de Fer. We miss la vallée des villards now that we have returned to Scotland. Sorry I have forgotten the few words of ‘la langue Savoyarde’ you taught me! Fond memories. Jim & Carol Greig.

  2. Suite à un commentaire interessant sur Twitter : « J’ai quand même un doute sur la prononciation de Servolex : on ne prononcerait pas le X final ? », nous souhaitons apporter quelques précisions.

    Du coup non le « X » ne se prononce pas… Ce qui donne : « La Motte Servolè ».

    Autre exemple : Argonnex est devenu Argonay suite à une mauvaise prononciation.

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