lundi 16 juin 2025
Histoire & Gastronomie

Bières de Savoie : une influence germanique ?

Bières de Savoie
Photo : Masson-Simon

Longtemps associée à ses vins blancs, la Savoie connaît depuis quelques années un essor remarquable de sa production brassicole. Microbrasseries artisanales, bières locales primées, ancrage territorial fort : tout semble indiquer l’émergence d’une véritable identité brassicole savoyarde. Mais d’où vient cet engouement ? Est-il seulement le fruit d’un phénomène récent, ou s’enracine-t-il dans une histoire plus ancienne ? Entre patrimoine local, qualité des ressources naturelles et influences culturelles extérieures, notamment germaniques, la tradition brassicole savoyarde pourrait bien cacher des origines insoupçonnées.

La Savoie : plus grande concentration de microbrasseries en France

La Savoie s’impose aujourd’hui comme l’une des régions les plus dynamiques en matière de microbrasseries. Avec un nombre important de brasseries artisanales, elle conjugue savoir-faire local, qualité des ingrédients et passion brassicole. Cette effervescence s’accompagne d’une volonté affirmée de valoriser le patrimoine : de nombreuses brasseries savoyardes utilisent désormais la langue savoyarde sur leurs étiquettes et supports de communication. Cette démarche s’inscrit dans une stratégie de marketing local, renforçant ainsi le sentiment d’authenticité et d’appartenance à un territoire culturel bien ancré.

Une eau d’exception : le secret des bières savoyardes

L’une des clés du succès des brasseries savoyardes réside dans la qualité exceptionnelle de leur eau. Les sources alpines, alimentées par les glaciers du Mont-Blanc et des massifs environnants, offrent une eau pure, faiblement minéralisée et naturellement filtrée par les roches. Cette eau est idéale pour le brassage, car elle permet de révéler pleinement les arômes du malt et du houblon. La Brasserie du Mont-Blanc, par exemple, utilise de l’eau captée à la source de l’Enchapleuze, située à 2 074 mètres d’altitude, pour élaborer ses bières primées.

À cela s’ajoute une volonté croissante de valoriser les productions locales : certaines brasseries cultivent leur propre orge et leur propre houblon. Cette dynamique contribue à ancrer encore davantage la bière savoyarde dans son terroir unique.

Les premières brasseries savoyardes : la Brasserie du Mont-Blanc en pionnière

Parmi les figures historiques du brassage savoyard, la Brasserie du Mont-Blanc occupe une place de choix. Fondée en 1821 à Sallanches par un certain M. Rabenak, dont on ne connaît presque rien, elle se distingue très tôt dans la région. En 1861 – au lendemain de l’annexion – Monsieur Essig, alors directeur d’une brasserie bavaroise à Lausanne, introduit le savoir-faire brassicole germanique dans la région. Bien que son origine exacte ne soit pas confirmée, son nom à consonance germanique suggère une possible ascendance culturelle allemande.

Les origines : entre influences germaniques et migrations alpines

L’histoire brassicole savoyarde pourrait bien puiser ses sources au-delà de ses frontières actuelles. Déjà, entre les années 1830 et 1840, des communautés germanophones comme les Walser avaient migré dans plusieurs vallées alpines.

Ces Walser, originaires du Haut-Valais suisse, se sont établis dans certaines vallées savoyardes, mais aussi dans le Piémont et la Vallée d’Aoste. Si l’on sait que les peuples germanophones étaient historiquement plus enclins à brasser de la bière que du vin, peut-on supposer qu’ils ont également semé les graines de la tradition brassicole dans les États de Savoie ?

La présence de brasseries dès le début du XIXe siècle renforce cette hypothèse. À Aoste, la Brasserie Zimmermann, fondée en 1837, introduit la fermentation basse selon le modèle bavarois. Plus au sud, à Biella, Jean Joseph Menabrea, issu d’une famille originaire de Gressoney (une vallée walser), fonde la brasserie Menabrea, aujourd’hui reconnue à l’international. Ces exemples illustrent la transmission du savoir-faire brassicole germanique dans l’ensemble des anciens États de Savoie.

Spéculations et pistes d’exploration : Morzine, Vallorcine et les Walser

La question reste ouverte : les Walser installés dans des villages comme Morzine ou Vallorcine, situés aux confins de la Savoie et venus du Valais, auraient-ils pu être les premiers à introduire des techniques brassicoles dans la région ? Si peu de preuves tangibles existent à ce jour, les similitudes culturelles et les liens géographiques entre ces communautés montagnardes laissent place à l’hypothèse.

Et si la tradition brassicole alpine n’était pas seulement un phénomène contemporain ou importé au XIXe siècle, mais l’héritage plus ancien d’une culture alpine transfrontalière ? À l’heure où les brasseries savoyardes se multiplient, redonner une place aux racines walser pourrait enrichir encore davantage l’histoire brassicole de la Savoie.

Loin de n’être qu’une tendance récente, la bière savoyarde semble s’inscrire dans une histoire plus profonde, faite de traditions locales, de ressources naturelles uniques et de possibles influences culturelles venues d’au-delà des Alpes. Entre intuition historique et faits avérés, l’hypothèse d’une influence germanique, portée notamment par les migrations walser, offre une nouvelle lecture de l’identité brassicole savoyarde. À l’image de ses montagnes, la Savoie brassicole est faite de strates anciennes, de passages discrets et d’héritages parfois oubliés qu’il convient aujourd’hui de redécouvrir.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

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Franck Monod
Consultant culturel en Savoie.