
Longtemps frontière entre royaumes, la Savoie a été une terre de défense, de passages stratégiques et de conflits. Son relief alpin, ses cols majeurs et ses vallées ouvertes vers la France ou l’Italie en ont fait un territoire clé dans la géopolitique européenne du XIXe siècle.
De cette histoire mouvementée subsistent des fortifications impressionnantes, construites à différentes époques : sous les rois de Sardaigne, après l’annexion française de 1860 ou encore à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Certains forts ont été transformés en lieux de visite, d’accueil ou de mémoire, d’autres sont tombés dans l’oubli, abandonnés à la nature ou détruits au fil des guerres.
Voici notre sélection de six anciens forts militaires de Savoie, chacun porteur d’un passé unique, et qui offrent aujourd’hui un nouveau regard sur le patrimoine savoyard.
1. Le Fort de Tamié – De bastion militaire à lieu de paix et d’accueil

Situé au-dessus d’Albertville, le fort de Tamié fut construit en 1876 dans le cadre du système défensif Séré de Rivières, après la guerre de 1870. Il avait pour rôle de protéger l’accès au col du même nom et de contrôler les vallées environnantes. Doté de casernements, d’un pont-levis, de bastions et d’un réseau défensif moderne, il ne fut jamais engagé dans un conflit.
Aujourd’hui, le fort de Tamié a trouvé une seconde vie. Il appartient à la communauté de l’Arche, fondée par Jean Vanier, et accueille des personnes en situation de handicap dans un cadre paisible et verdoyant. Ouvert au public, il propose aussi une via ferrata, un parcours accrobranche dans les anciennes douves, des expositions historiques, et surtout une vue exceptionnelle sur le Beaufortain, les Bauges et la vallée de la Tarentaise. Le parfait exemple d’une reconversion réussie et humaine.
2. Le Fort Victor-Emmanuel – L’orgueil du Royaume de Sardaigne

Au cœur du système de défense de l’Esseillon, à Aussois, le fort Victor-Emmanuel est sans doute le plus impressionnant de tous les ouvrages militaires sardes construits dans la première moitié du XIXe siècle. Édifié entre 1830 et 1854 sous l’autorité du royaume de Sardaigne, il servait à barrer l’accès à la vallée de la Maurienne et à protéger les frontières face à une éventuelle invasion française.
Fort de trois niveaux, d’un mur d’enceinte de 600 mètres et de dizaines de casemates, il pouvait accueillir plusieurs centaines d’hommes. Bien que jamais utilisé en temps de guerre, il symbolise la puissance militaire d’une époque.
Aujourd’hui, il est ouvert à la visite, intégré dans un ensemble fortifié accessible par des passerelles suspendues et sentiers. Le site accueille aussi des animations, des spectacles, et des reconstitutions historiques. C’est un lieu où l’histoire et le paysage alpin se rencontrent avec majesté.
3. Le Fort de Montgilbert – Le gardien oublié des forêts de Maurienne
Perdu dans la forêt au-dessus de Saint-Alban-d’Hurtières, le fort de Montgilbert est un fort militaire du XIXe siècle, construit entre 1880 et 1884 pour défendre les accès à la Maurienne. Prévu pour 300 hommes, il possédait son propre système de récupération d’eau, une boulangerie, des magasins à poudre et des casemates.
Désaffecté rapidement, il fut ensuite laissé à l’abandon. Envahi par la végétation, il semblait promis à l’oubli. Mais depuis plusieurs années, une association de passionnés, Les Amis du Fort de Montgilbert, œuvre à sa restauration et à sa mise en valeur.
Il se visite librement, à travers une randonnée en pleine nature. Des panneaux informatifs expliquent son histoire et son architecture. L’endroit, silencieux et mystérieux, évoque un décor de roman ou de film post-apocalyptique, et ravira les curieux d’exploration patrimoniale.
4. La Redoute-Ruinée – Le fort sacrifié de Bourg-Saint-Maurice
Perchée à plus de 2400 mètres d’altitude, au-dessus de Bourg-Saint-Maurice, la Redoute-Ruinée est un ouvrage militaire qui fut construit au XIXe siècle pour défendre le col du Petit-Saint-Bernard. Réactivé et renforcé dans les années 1930, il joua un rôle symbolique dans la défense des Alpes lors de l’invasion italienne de 1940.
Pour éviter que les troupes fascistes ne s’en emparent, les Français dynamitèrent le fort. Il fut littéralement anéanti par ses propres défenseurs, devenant l’un des rares ouvrages savoyards volontairement détruits par l’armée française.
Aujourd’hui, ce sont des ruines puissantes et saisissantes que l’on découvre au terme d’une randonnée assez difficile, mais offrant des vues imprenables sur le massif du Mont-Blanc. L’endroit, balayé par les vents, est chargé d’émotion et de solitude.
5. Le Fort du Télégraphe – Entre transmission et artillerie
Dominant Saint-Michel-de-Maurienne, le Fort du Télégraphe est à l’origine un site de transmission. Dès 1805, il hébergeait une station du télégraphe optique de Chappe, servant à relier Paris à Milan à la vitesse de la lumière… ou presque. En 1890, une fortification moderne fut ajoutée pour protéger le col du Galibier.
Positionné à 1580 mètres d’altitude, le fort commandait les vallées du haut de son éperon rocheux. Son architecture semi-enterrée, pensée pour résister aux obus modernes, reste visible.
Le site se visite ponctuellement lors d’événements culturels ou journées du patrimoine, mais reste accessible à pied tout au long de l’année. La vue y est spectaculaire, et la rencontre entre technologie, défense et nature y prend tout son sens.
6. Le Fort de la Turra – Le dernier bastion des hauteurs

Situé à 2500 mètres d’altitude, au-dessus de Valfréjus, le Fort de la Turra faisait partie du système de défense de la frontière franco-italienne à la fin du XIXe siècle. Il complétait les forts du Sapey et de l’Olive, surveillant le col du Fréjus, aujourd’hui traversé par un tunnel routier bien connu.
Construit pour résister à des assauts venus d’Italie, il fut utilisé jusqu’à la Seconde Guerre mondiale avant d’être définitivement abandonné.
Aujourd’hui, il faut plusieurs heures de marche pour l’atteindre, mais les amateurs de randonnée alpine y trouveront un site spectaculaire, isolé, presque irréel. Le fort, bien que ruiné, offre un panorama grandiose sur la frontière et reste un témoignage fort de la stratégie alpine de défense.
Ces six anciens forts racontent chacun une page essentielle de l’histoire savoyarde. Qu’ils aient été édifiés par les rois de Sardaigne, les ingénieurs du Second Empire ou les militaires des années 30, ils incarnent tous les grandes peurs, ambitions, innovations et mutations politiques qui ont traversé la région.
Qu’ils soient aujourd’hui lieux de vie, de culture ou de randonnée, ils continuent de parler aux curieux, aux passionnés d’histoire et aux amoureux du patrimoine. Ces pierres, ces murailles, ces ruines, nous rappellent que la Savoie fut une terre de passage… et de résistance.
Et vous, en avez-vous déjà visité un ? Partagez vos photos, souvenirs ou anecdotes avec nous, et faites revivre ces bastions d’un autre temps.