
Quand on pense à la Savoie, on imagine généralement les sommets enneigés, les chalets en bois, les fromages fondants et les lacs paisibles. Mais sous la surface tranquille de ces paysages alpins se cache un passé plus sombre, méconnu du grand public : celui des sorcières et de la peur du maléfice. Du Moyen Âge jusqu’au XVIIe siècle, la Savoie a été le théâtre de procès pour sorcellerie, marqués par des croyances populaires, des angoisses rurales et une volonté de maintenir l’ordre religieux et social.
Dans cet article, nous vous emmenons au cœur de la Savoie mystérieuse, pour découvrir comment nos montagnes ont abrité des récits de pactes diaboliques, de sorts jetés sur le bétail, de femmes marginalisées et accusées, mais aussi des éléments de folklore où les esprits alpins croisent l’imaginaire paysan.
Cet article mêle faits historiques documentés et légendes populaires locales. Les éléments non prouvés historiquement sont présentés comme des croyances ou traditions orales.
Un territoire propice aux croyances populaires
La Savoie, longtemps composée de villages isolés perchés dans la montagne, était un terrain fertile pour le développement de superstitions rurales. Bien avant l’Inquisition, les habitants transmettaient oralement des récits de maléfices, d’esprits familiers (comme les Servans), ou d’événements étranges.
Les conditions de vie difficiles, les maladies, les aléas climatiques et la mortalité élevée favorisaient les croyances magiques. Une mauvaise récolte ? Une vache morte subitement ? Un enfant malade ? Il suffisait parfois qu’une femme soit jugée trop solitaire, étrange, ou trop savante pour devenir suspecte.
« Les campagnes savoyardes regorgeaient de récits où les remèdes, les charmes et les signes du destin faisaient partie du quotidien. »
Source : Sorcellerie en Savoie, SSHA, 1975
La réalité des procès de sorcellerie en Savoie
Contrairement à d’autres régions comme l’Alsace ou la Lorraine, la Savoie n’a pas été un haut lieu de la chasse aux sorcières. Mais environ 30 procès ont bien été documentés entre le XVe et le XVIIe siècle, selon la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie (SSHA).
Quelques exemples issus des archives :
- Chignin (1394) : un homme accusé de jeter des sorts aux vignes ;
- Combe de Savoie : plusieurs cas évoquant des sorts lancés sur le bétail ;
- Saint-Jean-de-Maurienne : accusations de pratiques magiques liées à la santé.
Qui étaient les accusés ?
La majorité des personnes accusées étaient des femmes âgées, veuves, isolées, parfois guérisseuses utilisant des plantes. Leur savoir traditionnel devenait suspect dans une société dominée par l’Église et un ordre patriarcal.
« On reprochait à ces personnes de provoquer des maladies, de faire périr les bêtes, ou même simplement de porter malheur. »
Source : Diableries et sorcelleries en Pays de Savoie, Éd. Horvath, 1988
Une justice influencée par la torture
Les procédures judiciaires incluaient l’usage de la torture pour obtenir des aveux. Les interrogatoires évoquaient des pactes avec le diable, la participation à des sabbats, ou la possession d’objets suspects. Certains procès ont abouti à des peines de mort, y compris par le feu.
Croyances populaires et folklore : entre peur et tradition
Le Servan : lutin montagnard
Dans le folklore savoyard, le Servan est une créature proche du lutin domestique. Il peut aider à garder la maison ou les troupeaux, mais devient malveillant si on l’offense. Ces récits servaient souvent à expliquer des événements inexpliqués dans les foyers ruraux.
« Un Servan fâché peut faire tourner le lait, faire fuir les animaux, ou semer la zizanie dans la maison. »
Source : Wikipedia – Servan (folklore)
Lieux dits « maudits » et bruits étranges
Dans plusieurs vallées (Beaufortain, Tarentaise…), certains habitants affirment avoir entendu des voix dans la montagne, vu des phénomènes étranges près de sources ou de pierres isolées. Ces récits oraux sont typiques des traditions alpines, mais ne reposent pas sur des faits vérifiables.
Sabbats et montagnes : mythe ou réalité ?
Certains sommets comme La Dent du Chat ou La Tournette sont associés à des réunions nocturnes de sorcières dans l’imaginaire populaire. Ces croyances ne reposent sur aucune preuve historique mais témoignent d’un folklore encore vivace.
Ce qu’il reste aujourd’hui
Peu de documents judiciaires ont survécu, mais des archives sont consultables à Chambéry aux Archives départementales de la Savoie. Des chercheurs universitaires, comme ceux de l’Université Savoie Mont Blanc, travaillent sur ces matériaux depuis les années 2010.
Si les faits historiques sont rares, la mémoire populaire continue. Certaines personnes déposent encore des fleurs ou des offrandes sur des lieux dits « maudits » ou près de ruines considérées comme chargées. Ces gestes, bien que folkloriques, perpétuent un lien avec ce passé mystérieux.
La Savoie ne fut pas le théâtre d’une chasse aux sorcières aussi massive qu’ailleurs, mais les procès, même isolés, révèlent un pan de notre histoire locale où peur, superstition et marginalisation se mêlaient.
Les croyances en sorcières, esprits alpins, et maléfices disent quelque chose de profond sur la manière dont nos ancêtres affrontaient l’inconnu. Aujourd’hui, ces récits restent ancrés dans l’imaginaire, entre histoire réelle et légende populaire.






