mercredi 2 octobre 2024
Le saviez-vous ?

Le Saviez-vous ? : L’instruction publique en Savoie

Le Saviez-vous L’instruction publique en Savoie une histoire méconnue
Crédit Photo : Allan Kinic/Mordus 2 Savoie

L’instruction publique en France est souvent associée à Jules Ferry, architecte des lois sur la gratuité, la laïcité, et l’obligation scolaire à la fin du XIXe siècle. Pourtant, en Savoie, la mise en place d’un système éducatif bien structuré remonte à bien avant l’annexion de 1860. Contrairement à une idée reçue, la France n’a pas introduit l’école en Savoie : l’instruction publique existait déjà, développée au cours du XIXe siècle sous le Duché de Savoie. Cet article se penche sur l’histoire de l’éducation en Savoie, ses particularités et ses défis, avant et après son rattachement à la France.

Les débuts de l’instruction publique sous Charles-Félix

L’histoire de l’instruction publique en Savoie commence bien avant l’annexion de 1860. En 1822, Charles-Félix de Savoie promulgue une réforme marquante qui ordonne la gratuité de l’école par lettres patentes. Cette mesure progressiste, financée par les communes et provinces, a permis à la Savoie de devancer la France dans le domaine de l’instruction primaire. Il ne s’agissait pas seulement d’apprendre à lire et à écrire : Charles-Félix exprimait son souhait de voir émerger des générations de jeunes gens capables de concilier piété, savoir scientifique et allégeance à Dieu et au trône.

Si la scolarisation n’était pas obligatoire, les parents savoyards y voyaient un avantage pour leurs enfants, et l’éducation primaire se diffusait largement, en particulier dans les zones rurales et montagnardes.

Le ministère de l'instruction publique de Savoie
Crédit photo : Edouard Montvignier-Pucellaz

Une gestion décentralisée, entre Église et État

Durant la première moitié du XIXe siècle, l’instruction publique en Savoie était sous l’influence directe de l’Église, notamment des évêques. Toutefois, la structure éducative restait décentralisée, chaque province et commune jouissant d’une relative autonomie dans la gestion des écoles. Cette situation changea avec l’adoption de la loi organique du 4 octobre 1848, connue sous le nom de loi « Bon Compagni », mise en place par Charles-Albert de Savoie.

Cette réforme avait pour objectif de transformer l’instruction en un véritable « service public » et d’en retirer le monopole de l’Église. Parmi les mesures phares de cette loi figuraient la création de conseils provinciaux pour superviser l’enseignement, la nomination d’inspecteurs et l’établissement de structures pour encadrer l’instruction secondaire et supérieure. Ces réformes allaient bien au-delà de ce qui existait en France à la même époque.

Un système éducatif exemplaire en Savoie

L’un des aspects remarquables de l’instruction publique en Savoie avant son annexion était la prolifération des petites écoles dans les hameaux, souvent isolés dans les vallées alpines. Ces établissements, financés par les collectivités locales, étaient considérés comme des institutions publiques et bénéficiaient d’un taux d’alphabétisation très élevé. Un mémoire publié en 1845 par la Société académique de Savoie montrait que les taux de scolarisation et d’alphabétisation en Savoie surpassaient largement ceux de la France : à Sallanches, 93 % des enfants savaient lire, et à Tignes, ce chiffre atteignait 81 %. En comparaison, la France enregistrait un taux d’alphabétisation d’environ 55 % à la même époque.

Abrégé histoire de la Savoie
(1860) « Abrégé d’histoire de la Savoie en dix leçons »
Auteur: F. Christin, F. Vermale

L’impact de l’annexion de 1860

L’annexion de la Savoie à la France en 1860 marqua un tournant décisif pour le système éducatif savoyard. L’intégration dans le système scolaire français ne se fit pas sans heurts. La France tenta d’imposer un modèle plus centralisé, et les écoles de hameaux, qui avaient prospéré dans le cadre savoyard, furent touchées par des fermetures massives : entre 1849 et 1872, le nombre d’écoles passa de 1 854 à 1 641. La fin de la gratuité des écoles savoyardes, qui étaient jusque-là financées par les fondations locales, fut également un coup dur pour l’enseignement, en particulier dans les régions montagneuses.

De plus, la France interdit la mixité dans les écoles, une décision qui contraria l’organisation existante en Savoie. L’administration française éprouva des difficultés à financer et maintenir le réseau scolaire développé par les Savoyards, limitant ainsi les progrès réalisés avant l’annexion.

La suppression des universités savoyardes

Outre les écoles primaires, les établissements d’enseignement supérieur savoyards subirent également les conséquences de l’annexion. Le 24 octobre 1860, Napoléon III promulgua un décret impérial supprimant les écoles universitaires de théologie, de droit, de médecine et de pharmacie en Savoie. Des villes comme Chambéry, Annecy, et Saint-Jean-de-Maurienne perdirent leurs institutions d’enseignement supérieur, contraignant les étudiants savoyards à poursuivre leurs études en France ou à abandonner leurs projets académiques.

La persistance d’un héritage savoyard

Malgré les changements imposés par l’administration française, l’héritage éducatif du Duché de Savoie n’a pas été totalement effacé. Le rectorat de Chambéry, hérité du duché, continua à exister et publia plusieurs manuels d’histoire de la Savoie destinés aux écoles primaires. Ces manuels, notamment celui de Félix Fenouillet, intitulé *Histoire de la Savoie à l’usage des écoles primaires des deux départements savoisiens*, étaient essentiels pour enseigner aux jeunes générations l’histoire et les spécificités culturelles de leur région.

Cependant, au fil du temps, la République française chercha à centraliser l’éducation et à homogénéiser les programmes, au point d’imposer une histoire nationale qui omettait souvent les particularités régionales de la Savoie. Les manuels d’histoire savoyarde furent finalement supprimés, et certains furent même brûlés dans les cours d’écoles, signe d’une volonté de tourner la page sur cette histoire régionale.

L’histoire de l’instruction publique en Savoie révèle une région qui, bien avant son annexion à la France, avait su développer un système éducatif avancé, structuré et largement autonome. Si l’intégration dans le système scolaire français a apporté des changements importants, elle a également conduit à la disparition d’un modèle qui avait permis à la Savoie de se démarquer par ses taux d’alphabétisation et son réseau d’écoles locales. Aujourd’hui encore, l’héritage éducatif du duché demeure un sujet de fierté pour les Savoyards, rappelant que l’histoire de l’instruction publique ne se limite pas à celle de la France, mais trouve aussi ses racines dans les spécificités régionales.

Musée de l’école de La Minière (crédit photo : Allan Kinic)

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