lundi 7 avril 2025
Le saviez-vous ?

La Saviez-vous ? Le Code de Procédure Criminelle de 1859

Code de Procédure Criminelle

À l’aube de l’annexion de la Savoie à la France en 1860, les États de Sa Majesté le Roi de Sardaigne disposaient d’un système judiciaire particulièrement structuré. Le Code de procédure criminelle de 1859 en est un témoin exceptionnel. Publié un an avant l’union avec la France, ce texte juridique, bilingue (français et italien), illustre avec précision les rouages de la justice pénale dans les provinces savoyardes.

Ce livre de 281 pages, imprimé par l’Imprimerie royale, a été diffusé dans chaque commune des États de Savoie. Il devait être exposé publiquement pendant six heures par jour afin que chaque citoyen puisse en prendre connaissance. Signé par le roi Victor-Emmanuel II de Savoie et contresigné par le ministre de la Justice Urbano Rattazzi, ce code entrait en vigueur dès le 1er mai 1860.

Un héritage juridique complexe : de Chambéry à Turin

L’apparition de la justice en Savoie remonte bien avant ce Code de 1859. Dès 1329, le comte Aymon de Savoie fonde le Parlement de Chambéry, l’une des premières institutions judiciaires du duché. Puis, au XVIe siècle, lors de l’occupation française, François Ier crée le Parlement de Savoie (1536–1559), calqué sur le modèle français.

Avec le retour des territoires à la Maison de Savoie en 1559, ce Parlement devient le Sénat de Savoie, véritable pilier judiciaire et administratif, siégeant à Chambéry. Cette institution traitait aussi bien des affaires civiles que criminelles, tout en assumant un rôle politique, administratif et même diplomatique.

Le grand juriste Antoine Favre, président du Sénat, y élabore le Codex Fabrianus (1729), l’un des premiers codes civils et criminels d’Europe, bien avant le Code Napoléon de 1804.

Codex Fabrianus definitionum forensium et rerum in sacro Sabaudiae Senatu tractatarum, recueil de décisions du Sénat de Savoie et ouvrage jurisprudentiel, en 9 livres - (La loi et les prophètes)
Codex Fabrianus definitionum forensium et rerum in sacro Sabaudiae Senatu tractatarum, recueil de décisions du Sénat de Savoie et ouvrage jurisprudentiel, en 9 livres –
(La loi et les prophètes)

Une justice entre tradition et modernité

À la fin du XVIIIe siècle, la Révolution française interrompt ce système : la Savoie devient française entre 1792 et 1814, et adopte les institutions judiciaires françaises. Mais à la Restauration sarde de 1814, le royaume s’efforce de reconstruire son système judiciaire, d’abord conservateur et influencé par l’Église, avec un code pénal sévère en 1830.

Les choses évoluent après le printemps des peuples de 1848. Le roi Charles-Albert de Savoie accorde une constitution et impulse des réformes. Sous son fils, Victor-Emmanuel II, et grâce à l’action du réformateur Urbano Rattazzi, un nouveau Code de procédure criminelle voit le jour en 1859, bien plus libéral, fondé sur les droits individuels et la laïcité.

Fonctionnement du système judiciaire sarde

Le Code de 1859 s’inscrit dans une logique de hiérarchisation claire :
• Les Cours d’Assises traitent les crimes graves (meurtres, trahison, délits politiques…), avec l’aide d’un jury populaire.
• Les Tribunaux d’Arrondissement jugent les délits courants.
• Les Juges de Mandement s’occupent des contraventions et infractions de police.

Le processus judiciaire repose sur plusieurs figures essentielles :
• Le juge ou président d’audience dirige les débats.
• Le greffier enregistre chaque étape.
• Le ministère public poursuit au nom de l’État.
• L’avocat assure la défense de l’accusé.
• La partie civile demande réparation.
• Les experts et témoins apportent les preuves.
• L’interprète, si nécessaire, assure la bonne compréhension pour tous.

Extraits du Titre Préliminaire du Code

Code pénal pour les états de S. M. le roi de Sardaigne (1830)

CHAPITRE I — Des actions qui naissent des infractions

Article 1

Toute infraction donne lieu à une action pénale. Elle peut aussi donner lieu à une action civile, pour la réparation du dommage causé.

Article 2

L’action pénale est essentiellement publique. Elle est exercée par les officiers du ministère public près les Cours d’Appel et d’Assises, les Tribunaux et les Juges de Mandement. Elle s’exerce d’office dans tous les cas où l’instance de la partie lésée ou offensée n’est pas nécessaire pour en provoquer la poursuite.

Article 3

L’action civile appartient à la partie lésée et à ses héritiers. Elle peut être exercée contre les auteurs et les complices de l’infraction, ainsi que contre les personnes que la loi déclare civilement responsables et contre leurs héritiers respectifs.

Article 4

L’action civile peut être poursuivie en même temps et devant le même juge saisi de l’action pénale, sauf les cas spécialement prévus par la loi. Elle peut aussi être poursuivie séparément devant le juge civil ; mais, dans ce cas, l’exercice en est suspendu tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action pénale intentée avant ou pendant la poursuite de l’action civile.

Article 5

Si l’inculpé décède avant que le jugement définitif ait été rendu, l’action civile s’exerce contre ses héritiers devant le juge civil.

Article 6

La partie lésée ou offensée ne sera plus admise à exercer l’action civile en réparation des dommages, lorsque l’inculpé aura obtenu un jugement d’absolution devenu irrévocable, ou qu’il aura été déclaré qu’il n’y avait pas lieu à suivre, soit parce qu’il constate la non-existence du fait imputé, ou de la preuve acquise qu’il n’en a été ni l’auteur ni le complice, soit parce que l’action pénale est éteinte par la prescription dans les cas déterminés par la loi.
Il en sera de même lorsqu’une ordonnance du juge d’instruction ou un arrêt de la section d’accusation aura déclaré qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre, parce que l’action pénale était éteinte par la prescription.

Article 7

Dans les cas où l’action pénale ne peut être exercée que sur l’instance de la partie lésée, celle-ci ne sera plus recevable à la provoquer, lorsqu’en choisissant la voie civile elle aura agi devant un juge compétent.
S’il s’agit d’infractions à raison desquelles le ministère public est autorisé à agir d’office, la partie lésée qui se sera pourvue devant le juge civil pour la réparation du dommage ne pourra plus se constituer partie civile dans l’instance pénale.

Article 8

La renonciation à l’action civile ne peut arrêter ni suspendre le cours de l’action publique.

CHAPITRE II — De la compétence

Article 9

Les Cours d’Assises connaîtront, avec le concours du Jury :

1° Des crimes contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État, et de la provocation à les commettre ; sans préjudice de la disposition de l’article 36 du Statut ;
2° De tous les crimes qui leur auront été renvoyés par les arrêts d’accusation ;
3° Des attentats à l’exercice des droits politiques prévus par les articles 190, 191, 192 et 193 du Code pénal, ainsi que de la provocation à ces mêmes attentats ;
4° Des abus commis par les ministres des cultes dans l’exercice de leurs fonctions, prévus par les articles 268 et 269 du Code pénal ;
5° Des délits prévus par l’article 471 du Code pénal ;
6° Des délits de presse prévus par les articles 14 à 24 de la loi du 26 mars 1848.

Article 10

Les Tribunaux d’Arrondissement connaissent des délits qui ne sont pas compris dans l’article précédent.

Article 11

Les Juges de Mandement connaissent des contraventions emportant des peines de police.

Article 12

Pour déterminer la compétence, on aura égard au titre et non aux circonstances de l’infraction, lors même que celles-ci excluraient l’application de toute peine, ou qu’elles pourraient donner lieu à passer d’un genre de peine supérieur à un genre de peine inférieur ; sans préjudice des dispositions spéciales contenues aux articles 242 et 428.

Article 13

Dans le concours des peines de genre différent, applicables à une même infraction, la compétence se réglera d’après le genre de la peine la plus grave.

Article 14

La compétence se détermine, en outre, par le lieu de l’infraction, par celui de la demeure de l’inculpé, ou par celui dans lequel l’arrestation a été effectuée ; sauf les exceptions portées par le présent Code ou par d’autres lois.

Article 15

Le juge du lieu de l’infraction a néanmoins la préférence sur tout autre juge, soit pour instruire, soit pour prononcer.
Les actes et les informations auxquels il aurait été procédé par d’autres juges ou par les officiers de police judiciaire d’autres ressorts, les corps de délit et la personne accusée ou prévenue seront mis à la disposition du juge du lieu de l’infraction, lors même que réquisition n’en serait pas faite.

Article 16

Si le lieu de l’infraction n’est pas connu, le juge du lieu où l’accusé ou prévenu aura été arrêté sera préféré au juge du lieu de sa demeure, à moins que ce dernier n’ait déjà décerné un mandat d’arrêt ou de comparution.

Article 17

Si l’infraction a été commencée dans un lieu et consommée dans un autre, la connaissance appartiendra au juge du lieu où l’infraction aura été consommée.

Article 18

Lorsqu’une infraction aura été commise sur la limite de deux juridictions, il y aura lieu à prévention. La prévention s’établit par le mandat d’arrêt ou par celui de comparution.

Article 19

Si la même personne est accusée d’un ou de plusieurs crimes commis dans le ressort d’une Cour, et d’un ou de plusieurs délits commis, soit dans le même ressort, soit dans celui d’une autre Cour, et que ces délits soient connexes aux crimes, la Cour dans le ressort de laquelle les crimes auront été commis connaîtra pareillement des délits.
Les mêmes règles sont applicables dans le cas où la même personne serait inculpée de plusieurs délits connexes entre eux, dont les uns seraient de la compétence des Cours d’Assises, et les autres de celle des Tribunaux d’Arrondissement.
La Cour connaîtra, en outre, des contraventions connexes aux crimes et délits énoncés ci-dessus.
En ces cas, on procédera à l’égard des délits et des contraventions de la même manière que pour les crimes.

Article 20

Il y a connexité entre les crimes, les délits et les contraventions :

1° Soit lorsqu’ils ont été commis en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu’ils ont été commis par diverses personnes, même à différents temps et en divers lieux, mais par suite d’un concert formé à l’avance entre elles ;
2° Soit lorsqu’ils ont été commis les uns pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter ou en consommer l’exécution, ou pour en assurer l’impunité.

Article 21

Si, dans le cas prévu par l’article 19, la même personne est, en outre, inculpée de contraventions et de délits autres que ceux qui y sont mentionnés, il sera sursis à leur jugement jusqu’à ce que la Cour ait prononcé sur les infractions attribuées à sa connaissance par cet article.

Article 22

Si la Cour prononce une des peines criminelles prévues par les cinq premiers numéros de l’article 13 du Code pénal, elle déclarera, par le même arrêt, que la peine appliquée absorbe toutes les peines correctionnelles et de police que le condamné aurait encourues à raison des délits ou des contraventions mentionnés dans l’article précédent.
L’absorption des peines correctionnelles et de police aura également lieu dans tous les cas où il est facultatif au juge d’appliquer une peine corporelle ou une peine pécuniaire.

Article 23

Si la section d’accusation déclare qu’il n’y a pas lieu à la mise en accusation à raison du crime ou des délits de la compétence des Cours d’Assises, elle renverra, par le même arrêt, les causes concernant les délits et contraventions mentionnés dans les articles 19 et 21 au tribunal ou au juge compétent, selon les règles établies au présent chapitre.
Il en sera de même en ce qui concerne les délits et contraventions prévus par l’article 21, lorsque la Cour, prononçant sur l’accusation, absoudra l’accusé ou déclarera qu’il n’y a pas lieu de poursuivre, ou lorsqu’elle condamnera l’accusé à la peine criminelle portée au numéro 6 de l’article 13 du Code pénal, ou seulement à une peine correctionnelle ou de police.

Article 24

Lorsqu’il s’agira de délits ou contraventions qui entraînent à la fois une peine pécuniaire et une peine corporelle, et que celle-ci aura été absorbée en vertu de l’arrêt de la Cour, le tribunal ou le juge devra néanmoins procéder et statuer en ce qui concerne la peine pécuniaire.

Article 25

Si la même personne est accusée de plusieurs crimes commis dans la juridiction de diverses Cours, la connaissance en appartiendra à la Cour dans le ressort de laquelle le crime le plus grave, ou, à défaut, le plus grand nombre de crimes auront été commis.
Si les crimes sont également graves et en même nombre, ou que, dans l’intérêt de la justice ou eu égard à d’autres circonstances, il soit convenable de s’écarter des règles ci-dessus, les officiers du ministère public près chaque Cour transmettront les pièces, avec leur avis, à la Cour de cassation pour déterminer la Cour compétente.
S’il s’agit d’individus accusés de deux ou plusieurs crimes dont les uns, à raison de la matière ou de la personne, seraient de la connaissance de tribunaux spéciaux, et dont les autres seraient de la compétence ordinaire, les officiers du ministère public transmettront les pièces au Département de la Justice, pour qu’il soit statué par décret royal.

Article 26

Si la même personne est prévenue d’un ou de plusieurs délits commis dans le ressort d’un tribunal, et d’une ou de plusieurs contraventions connexes commises dans le même ressort ou dans celui d’un autre tribunal, celui dans la juridiction duquel les délits auront été commis connaîtra aussi des contraventions.
On procédera, dans ce cas, à l’égard des contraventions comme à l’égard des délits.

Article 27

Si la même personne est inculpée de plusieurs délits commis dans le ressort de différents tribunaux dépendants de cours diverses, la compétence du tribunal qui devra en connaître se déterminera d’après les règles établies par la première partie et le premier alinéa de l’article 25.
Néanmoins, si les délits ont été commis dans le ressort de plusieurs tribunaux dépendants de la même cour, il appartiendra à cette dernière de désigner le tribunal compétent.
Les dispositions du second alinéa de l’article 25 sont également applicables aux délits.

Article 28

Tout juge peut recevoir des plaintes ou des dénonciations et informer sur toute infraction ; mais les plaintes, dénonciations ou informations reçues ou prises par des juges autres que ceux mentionnés aux articles 15 et suivants du présent chapitre devront être transmises au juge compétent.

Article 29

S’il y a urgence, le juge peut, même hors de son territoire, procéder à tous actes nécessaires, à la condition d’en informer le juge du lieu sur lequel il se transporte, avant de procéder ou aussitôt après l’avoir fait.

Article 30

Si, dans le cours d’un procès civil, il s’élève un juste motif de croire à l’existence d’une infraction de nature à être poursuivie d’office, le juge en informera le ministère public, qui provoquera, s’il y a lieu, l’action pénale aux termes de la loi.

Article 31

Lorsqu’on opposera à l’action pénale des exceptions purement civiles concernant la propriété ou tout autre droit réel, qui, si elles étaient établies, seraient exclusives de l’infraction, le juge examinera si elles ont quelque apparence de fondement.
Dans l’affirmative, il surseoira à la procédure et renverra l’affaire devant le juge compétent, en fixant un délai dans lequel le prévenu devra justifier avoir fait ses diligences. Si, au contraire, les exceptions ne sont pas jugées admissibles, il sera statué sur l’infraction.

Article 32

Pour les crimes ou délits qui, aux termes des articles 5 à 9 du Code pénal, sont punissables dans les États du Roi, la compétence est déterminée par le lieu du domicile, celui de l’arrestation, ou celui de la remise de la personne accusée ou prévenue ; et il y aura lieu à prévention.
Sur demande du ministère public ou des autres parties, la Cour de cassation pourra néanmoins renvoyer l’affaire à la Cour ou au tribunal le plus voisin du lieu des infractions.

Article 33

La Cour ou le tribunal compétents pour connaître des infractions mentionnées dans l’article précédent pourront se servir des actes accomplis à l’étranger.
On pourra également se servir de ces actes pour fixer l’indemnité due à la partie lésée, relativement aux infractions commises à l’étranger, même si elles ne sont pas punissables dans les États du Roi.

Article 34

Tout juge recevant une plainte ou une dénonciation concernant une infraction commise à l’étranger, et devant être poursuivie dans les États du Roi, devra en aviser le procureur du Roi de l’arrondissement, lequel informera le procureur général dont il dépend.

Contexte politique et influence napoléonienne

Le Code de 1859 reflète une volonté de modernisation à la veille de l’unification italienne. Issu d’un compromis entre tradition et réformes inspirées par les Lumières et le modèle napoléonien, il marque une rupture avec l’ancien régime judiciaire dominé par les privilèges du clergé et de la noblesse.

Ce texte s’inscrit dans une longue évolution juridique, entre restauration monarchique, révoltes libérales, et aspirations unitaires. Urbano Rattazzi, influencé par les idées de laïcité et de justice sociale, joue un rôle central dans cette transformation.

Un jalon méconnu de l’histoire judiciaire européenne

Ce Code de procédure criminelle de 1859 représente bien plus qu’un simple texte de lois : il témoigne de l’évolution d’un système judiciaire en transition, entre tradition monarchique et modernité juridique. Il s’agit d’un document rare, précieux pour comprendre l’histoire de la Savoie et du royaume sarde à la veille de l’unification italienne.

Cet article repose sur un ouvrage original que j’ai acquis personnellement. Grâce à cette source, j’ai pu explorer en détail la structure et les principes du droit pénal sarde. Une analyse complète mériterait plusieurs volets, que je publierai prochainement, notamment sur les différents tribunaux et leur fonctionnement.

À venir…

Dans un prochain article, je m’attarderai sur :
• L’organisation concrète des tribunaux sardes
• Les spécificités des audiences pénales
• L’héritage laissé par cette justice dans le droit savoyard post-annexion

Sources

• Code de Procédure Criminelle pour les États de Sa Majesté le Roi de Sardaigne (1859) – ouvrage original consulté
• Anne-Marie Bossy, Les Grandes Affaires Criminelles de Savoie
• Code pénal de 1830 – BnF Gallica
• Eugène Burnier, Histoire du Sénat de Savoie
• M. Ortolan, Du Code Pénal pour les États de Sa Majesté (1839)

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